La dernière chasse du puma
Le puma pointa ses oreilles, et ses narines frémirent
Et des frissons intenses parcouraient son échine
Là, pas très loin, il venait de percevoir
La présence certaine d'une proie dans le noir

Il sentait son odeur, ses mouvements, ses inquiétudes
Et, pour ne pas l'effrayer, se cachait encore mieux du regard de la lune.
Il ignorait encore et sa taille, et son poids
Mais pressentait déjà une chasse de choix

Il était affamé et tremblait par avance
De ce repas manquer, maladresse ou malchance
Aussi, dans le silence relatif de la nuit,
Se mouvait-il furtif, lentement, et sans bruit

Il profitait de chaque cache, usant du moindre son alentour
Pour approcher sans se trahir ce met de choix, son plat du jour

Là-bas, l'ombre diffuse avait bougé
Mais sans paraître être inquiétée
Elle semblait en promenade, comme butinant un jardin
Ou chassait-elle quelque proie juste pour assouvir sa faim ?

La lune gibbe ne semblait pas pouvoir permettre à la vue
D'identifier quoi que ce soit de façon nette et sans bévue
L'ombre semblait parfois aussi tranquille qu'un cyprès
Puis en dépit des vraisemblances, elle semblait vive et acérée

Le puma tourna encore et encore autour de la silouhette
Rampant de rochers en rochers, et attendant qu'elle soit prête
Il se ramassâ soudain et rassembla ses forces
Un son rauque et félin lui parvint en réponse

Dérouté et surprit il comprit qu'il avait
Traqué jusqu'à mi-nuit un frère de sa chasse
Il poussa un son clair, juste pour prévenir :
Ce qui lui répondit n'avait rien de sa race.

Il ressentit alors une angoisse indicible
Se faisait-il si vieux qu'il ne sentait plus rien ?
Il reprit son affût en tâchant si possible
De percevoir la bête : mais il n'y voyait rien

Le temps passait, sa faim ne passait pas
Son corps jeûnait depuis longtemps déjà
Il ne lui fallait pas, ce soir, manquer à être fort
Sinon, il faiblirait et risquerait la mort

L'ombre dans le désert fit soudain volte-face
Et progressa de biais avec tellement de grâce
Qu'on ne pû plus douter, et raisonnablement
Que ce fût, par bonheur, une biche ou un faon

Le fauve se glisse en contournant des roches
Tout prêt de l'animal succulent et grâcile
Puis il bondit d'un coup et ses griffes se crochent
Dans le flanc palpitant de cette proie facile !

Le puma rebondit, comme sur du granit !
Il chancelle, étourdit : tout s'est passé si vite :
La chose était énorme et puissament muclée
Et n'avait, au contact, rien, rien d'un ongulé ...

Il bat vite en retraite, il se sent si confus
Un angoisse muette et sourde s'insinue
Son estomac se crispe en cet endroit du corps
Où viennent se loger la peur et le mystère

Il se détourne enfin de l'ombre inquiétante
Embrasse du regard la roche environnante
Et la plaine, plus loin, qui brille sous la lune
Rien à manger, pour lui, rien que de l'infortune

Il hésite quand même, il y a quelques lapins
des rats, des volatiles, oui, tout celà se mange
Il serait raisonnable qu'avant le lendemain
Il prenne quelque chose qui lui tienne la panse

Mais alors qu'il s'apprête à manger l'ordinaire
Un parfum sans pareil capte son attention
Il lâche la volaille gisant dans la poussière
Et retourne à l'affût de sa malédiction

La nuit touche à sa fin :
Il lui faut se résoudre à reprendre la traque de l'ombre mystérieuse
Qu'est-ce donc, à la fin ?!
Ami ou ennemi ? Collègue ou nourriture ?
Lui faudra-t-il mourir ou bien vivre demain ?

Il fixe de ses yeux déjà tout embués
La figure inconnue qui déjà se découpe
Sur le ciel pâlissant d'une nuit terminée
Ayant brûlé sa vie comme brûle l'étoupe

La chose ne paraît pas si terrible, après tout
Comment a-t-il bien pû s'assommer de la sorte
En se jetant sur elle, voulant saisir son cou ?
De bien plus redoutables sous ses griffes sont mortes ...

Ca y est ! Elle vient vers lui ! Elle est fine et timide
Et son poil chatoyant cerne une truffe humide
En quête du parfum de la vie du matin
Le puma, de plein fouet, embrasse son festin !..

... Et se retrouve sot, pattes dans la poussière.
Car il a traversé l'ombre par son travers !
Il cherche de tout côté et la voit, si paisible
Marcher à ses côtés. Mais ... Ce n'est pas possible !..

Le soleil maintenant commence de pointer
Et ses rayons le blesse : ses yeux sont épuisés
L'ombre est toujours une ombre, ce malgré la clarté
Le puma n'en peut mais. Son corps est décharné

Faiblement, il se lève, juste pour le principe
Il tente de la voir : il ne voit qu'un brouillard
Il lève lourdement une patte sans griffe
Esquisse un grognement, mais c'est déjà trop tard

L'ombre vagabonde à son proche alentour
Vient même le flairer de son museau humide
Tandis que lui contemple le dernier de ses jours
Son pelage poissé de larmes impavides

Sa proie est devant lui, il ne peut la saisir
Il pensait tellement qu'il allait s'en sortir
Encore maintenant, sous ses paupières closes
Il rêve qu'il la tient, qu'il goûte sa chair rose

Le soleil est fournaise, le puma est recuit
Il sent en un soulagement l'extinction de sa flamme
Est-ce Dieu ou Satan ? son regard s'éclaircit :
Il voit enfin sa proie : l'ombre était une femme.

Rob