Mon coeur, ce traître
Je le lui ais souvent dit : « Mon cœur, tu me trahis ! »
Pourquoi, vous étonnerez-vous, pourquoi tant de rancœur ?
Pourquoi tant de colère envers son propre cœur ?
Parce qu’il me fût traître, comme je vous le dis !

Au début je fus assez fier, je l’avoue
D’avoir tant le cœur gros, bien plus que la normale
Cela me permettais de courir comme un fou
E t de fumer tabac plus que les autres mâles

Muni de cette pompe plus ventrue que d’usage
Je projetais déjà mains exploits, grande vie
De victoires sportives en oscars de l’image
Aux concerts stupéfiants enchantant les esprits

Je me mis au travail, gagnait une médaille
Composais des chansons tout à fait acceptables
Et brillait à l’école dans une adaptation
Dont les profs applaudirent la réalisation

Je me voyais déjà en étoile accomplie
Et en prodige même, puisqu’il était réel
Que j’écrivais fort bien de sinistres nouvelles

Digne fils d’Allan Poe et Stoker réunis

Et dans le monde entier, l’on changerait de pas
Par la seule lecture d’un seul de mes écrits
L’audition d’un vinyle, la vue au cinéma
D’un film si génial joué par son messie

De splendides beautés, à damner tous les saints
A entendre mon nom se pâmerait d’émoi
Elles seraient par milliers à désirer ma main
J’aurais, pour seul tourment, à établir mon choix

« Non, non » disait cet abruti, cet organe pompeux
« Nous n’en aimeront qu’une, et pour l’éternité.
Je veux bien de la gloire, de la célébrité
Mais putains et groupies délicieuses ne veux ! »

Puis il s’enticha, cet idiot, me tapant sur les nerfs
A chaque mouvement d’une pauvre fillette
Où que je veuille aller, il tirait comme un ver
En direction, maudit, d’épousailles rosettes

A peine mon œil vif brillant d’intelligence
Se laissait attirer par un doux frais minois
Ce cul béni de cœur cassait le coup du mois
En pensant à Marie, qui le mettait en transes

Je me souviens fort bien d’une pucelle hardie
Qui prenait tout prétexte pour me frôler le râble
Et faire poser mes mains sur ses parties aimables
Mais mon cœur, l’imbécile, ne voulait que Marie

De longues années passèrent où je tentais toujours
Par tout moyen possible de contourner l’amour
« Elle ne veut pas, as-tu compris ? Regarde donc celle-là ! »
Disais-je avec raison. Mais il ne voyait pas

Je tempêtais, colérais, cajolais, meurtriais : rien.
Tout gros et increvable, ce cœur là résistait
Dieu, que de galipettes, de souvenirs inénarrables
Et d’instants délicieux ce con me fit rater !

Je crus un jour pourtant obtenir un accord
On fit comme je dis : « Tirons un coup d’abord,
Et seulement ensuite te permettrais-je enfin
De broder la vénus de guirlandes sans fin

Mais elle nous trahie, tu en as convenu
De hideuse façon et sans aucun remord
Pourtant tu refusas d’approcher un corps nu
Pour prendre enfin revanche et réparer les tords

Une autre fois, hihi, je saoulais le crétin
Et m’envoyais en l’air avec quelque catin
Mais au matin, une fois dégrisé, je dû la renvoyer
Et lorsqu’il la vit triste, il se mit à pleurer

Trois fois, salaud, tu transperça ma vie
Sur le pal douloureux de l’amour éconduit
Et pour clore le tout, tu m’y laissas saigner
Fort lamentablement pendant maintes années

Ah, cette jeune chinoise faite comme un bonbon
Qui se frottait à moi tandis que je chantais,
Et cette fille en fleur m’allumant pour de bon
Tandis que je jouais les stars du blues nantais

Toutes ces belles choses, affriolées d’un soir
Qui voulaient le finir avec moi dans le noir
En furent pour leurs frais, telle est mon infortune :
Mon andouille de cœur : « Non, je n’en aime qu’une ! »

Mais elle ne t’aime pas ! Elle ne t’as rien promit,
Rien demandé non plus et nul n’est engagé !
Laisse donc celle-ci prodiguer gâteries

Et rien, rien qu’une fois : mais fous-nous donc la paix !

Tu parles !..

Depuis quelques années déjà, je le voyais trembler
Pour une belle Dame retrouvée en été
Il m’a sauté dessus, ligoté, bâillonné
A dressé des remparts à l’épreuve des gueuses
Les années à venir me seront tristes et creuses
Puisque mon cœur ne veut que celle qui ne veut pas

Fidèle à qui ? Fidèle à quoi ?
Qui comprendrait cet imbécile
Qui ne veut pas d’amour facile
Et me condamne au célibat ?

Ce cardiaque pendard pense qu’il a de l’honneur :
Il voulut sauter un jour d’une fenêtre
Pour sauver une amitié
S’aller noyer dans l’eau glaciale
Pour n’y point laisser périr seul un inconnu
Manqua de peu se noyer encore
Pour un gamin stupide qui n’était pas le sien
Sauta dans un gouffre sous-terrain
Pour ne point risquer la vie de son père
Se jeta sur une bombe
Pour deux bambins à qui il n’avait pas demandé d’être là

Et voilà le carnaval ! Monsieur est fidèle à ses amis
Il est fidèle à ses amours, il pardonne ses ennemis
Il a dit qu’il l’aimait : il le dira toujours
Tant pis si l’adorée refuse son amour
Il la trouve si belle qu’il la préfère encore
Aux délices sucrés des sirènes aux yeux d’or

Cela fait si longtemps, fumier, que tu me ruines
Que tu rends mon clapier vide de ses lapines
Je n’espère même plus un jour te raisonner
Va, continues tes salades, rêves toi chevalier 

… Rien ne peut être fait pour nous réconcilier
Toute ma vie en l’air pour les rêves stériles
D’un organe faiblard aux idéaux fébriles
Tellement éloignés de la réalité

Je ne veux plus savoir rien de tes idéaux
Rien, rien … Je ne veux plus t’entendre
A part si, un beau jour, un de tes rêves tendres
Prenait corps pour de bon … Ils sont toujours si beaux..

Rob