Conte des montagnes martiennes
On ne l’a jamais dit, ni ici ni ailleurs
Sauf dans les contrées lointaines
Celles qui virent naître mon cœur
Les montagnes martiennes :

  « Il ne se peut avoir d’union et belle et forte
Que si et seulement l’on est de telle sorte
Qu’en son cœur il y ait, sans nulle suspicion
Amourache, admirature, et grand respectation.»

  Il me souvient d’un homme (de Mars, il va de soi)
Qui s’en vînt d’aventure voyager hors chez soi
Il se trouva un jour cheminant en la Terre
Admirant la beauté de sa nature-mère

  Fort naturellement, par ailleurs il advînt
Qu’il amourachouilla d’une jeune terrienne
Dont il admirait bien la grâce patricienne
Et respectait beaucoup le sourire divin

  Il ne m’appartient pas de juger dans ce conte
Du jugement faiblard de notre voyageur
Mais la belle dryade, et ce sans nulle honte
Amourachait la chair, et bien plus que le cœur

  Notre pauvre martien sorti de ses montagnes
Connût le mal de l’âme, l’amère déception
Il fut fidèle en vain, ne sachant pas qu’il faille
Amourache, admirature, et grand respectation

  Il fit une autre fois charmante connaissance
D’une faunesse vive, acérée comme un dard
Qu’il admira céans, en toute respectance
Et dont, bien entendu, da, il s’amouracha

  Notre belle diablesse ne le respectait guère
Peut-être était-il vrai qu’elle ne respectait rien
Aussi notre pécore des montagnes martiennes
Laissa tomber la fleur qui ne l’admirait point

  Malgré cela, c’est vrai qu’il connût grand douleur
D’abandonner la belle cornue en son bastion
Tant et tant il vouait pour elle en son cœur
Amourache, admirature, et grand respectation

  Sur Terre, tout va par deux, chez nous tout va par trois
Le montagnard errant vît donc une troisième
Une fée du soleil du royaume d’un roi
Dure comme un diamant, et gracieuse à l’extrême

  Il amourachouilla d’abord un tantinet
Car devenu prudent de s’être malmené
Mais face à la lumière émanant de la fée
Il admiratura bien plus que nécessaire

  Il vit qu’elle était bonne, forte et honnête, et fière
Et en cela toujours, il avait grand respect
Et comme on s’en doutait, les trois terribles frères
Eurent raison de lui, le jetèrent à ses pieds

  De dedans sa poitrine il saisit son gros cœur :
« Mon pauvre ami, dit-il, te voilà plein de plombs
Tellement j’ai voulu donner avant que meurt
Amourache, admirature, et grand respectation.»

    Lassé d’y faire des trous, il le jeta sans prétention
A quelques pas des pieds de la fée merveilleuse
Qui sans doute ne vit que masse poussiéreuse
Tant il l’avait jeté en peu de précaution

  Il semblerait qu’il eût moult respect en retour
D’un présent qu’il eût dû arranger davantage
Adoncques la noble fée fière de ses atours
Ne pouvait accepter un si piteux hommage

  Elle fût déjà bien bonne, et il lui en su gré
De ne point prendre ombrage, ni courroux ni colère
D’un présent plein de trous, de sang et de poussière
Qui, de loin, fût jeté sans espoirs à ses pieds

  Bouseux de nos montagnes, rentre donc au pays
Car nul ici ne semble parler notre language
Tu ne comprends personne, personne ne saisit
Et tu sembles user d'un bien curieux verbiage

  Tu voulus voyager, aimer une autre terre
Tu voulus commercer ton cœur comme une pierre
Mais cela t’a-t-il fait comprendre la leçon :
« Amourache, admirature, et grand respectation.»

Rob